La crise que nous subissons est bien évidemment économique, écologique, sociale… et j’oublie plein d’autres adjectifs qui fonctionnent parfaitement avec le mot crise. Nous en sommes là en raison d’actions concrètes, de décisions délibérées. Les marchés, jusqu’à preuve du contraire, ne fonctionnent pas tout seuls, de même que les pays. L’action humaine prévaut donc bien et est responsable de la situation où nous sommes. Il ne s’agit pas là de critiquer tel ou tel mais de réfléchir sur nos manières de fonctionner. Il me semble que nos problématiques peuvent se résumer par un mot : la défiance. La défiance conduisant à l’avidité. C’est d’ailleurs ce que les premières pages de l’Ecriture avec le récit d’Adam et Eve veulent mettre en lumière.
Nous avons une fâcheuse tendance à vouloir prouver que nous pouvons toujours faire plus, que nous pouvons produire, réaliser toujours plus. Notre tentation première est de défier l’ordre des choses comme si nous cherchions ailleurs notre raison d’être, notre raison d’exister. Cette défiance à l’égard de ce qui nous est donné nous introduit non seulement dans une disharmonie de relation mais risque aussi de nous faire oublier l’urgence et la nécessité d’habiter ce monde avec notre plénitude d’homme et de femme. C’est une véritable urgence, une attentive préoccupation que nous toujours devons avoir. Ne cherchons pas ailleurs qu’au cœur de la densité de notre existence ce que nous sommes, ce que nous avons à faire et à être.
Du mythe de Babel
Nous sommes comme dans le mythe biblique de Babel : construire une tour allant jusqu’aux cieux pour atteindre Dieu. Nous sommes toujours dans le faire, dans l’action et oublions petit à petit que nous sommes sur Terre pour apprendre à vivre ensemble. Nous n’avons pas choisi ceux avec qui nous cohabitons sur cette terre mais nous tenons tout de même à leurs prouver que nous sommes meilleurs. Cela passe par des choses quotidiennes qui nous guettent tous, comme par exemple acheter le même téléphone voire le modèle au-dessus qu’un tel, etc. Nous sommes invités à apprendre de l’autre non pas en entrant dans une concurrence avec lui, mais dans une compréhension, qu’il nous faut réinterroger régulièrement, de ce que l’autre est et surtout de ce qu’il veut dire. C’est vivre de ce présupposé positif qu’Ignace de Loyola propose dans ses Exercices Spirituels.
Lutter contre la prise de pouvoir
Cette invitation, il nous faut la vivre au cœur même de notre quotidien. Nous devons apprendre à lutter contre cette tentation de prendre le pouvoir, d’user de notre position hiérarchique pour imposer à l’autre notre mode de pensée ou notre vision des choses. Le poste ou les responsabilités occupées ne signifient pas pour autant compétence et infaillibilité. Le dialogue doit être au cœur de toutes nos rencontres. Chacun a le droit d’avoir une vision différente, qui n’est pas mue par le désir d’avoir absolument raison. Prendre le temps d’écouter en confiance l’avis de l’autre pour orienter avec intelligence nos décisions. C’est aussi par là que cet « insaisissable vivre ensemble » peut se construire.
Le dialogue construit la confiance
Cela suppose d’accepter de ne pas faire peser sur l’autre le poids de l’autorité. Les responsabilités exercées doivent toujours être ordonnées au service de l’homme, à sa bientraitance et surtout à l’instauration et à la promotion du bien commun. Il ne s’agit pas de prôner l’anarchie mais le dialogue. Il doit toujours être premier dans toutes nos actions, avant toute décision. Il me semblerait juste d’utiliser dans nos divers cercles d’action ce que l’on appelle dans la Compagnie de Jésus : « le droit à l’avant-dernier mot ». C’est-à-dire faire en sorte qu’une décision soit prise à la seule condition d’avoir entendu toute les personnes concernées.
Donner à la parole de l’autre une véritable crédibilité, croire résolument qu’il peut éclairer une situation ou lui donner un relief particulier, c’est entrer dans une démarche qui prône une fois de plus le collectif, perçu comme un corps et non la mise sur un piédestal d’une personne qui, au nom d’une autorité reçue, aurait forcément raison et aurait une pensée juste.Faire confiance à l’autre demande d’abandonner nos régulières tentatives d’excès de pouvoir. C’est à cette seule condition que nous pourrons restaurer la confiance.