Vers une mystique de l’autorité


Propos d'un chrétien engagé, Vie de la Cité / vendredi, août 7th, 2015
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« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » cette citation bien connue de Gandhi est comme le résumé de l’invitation que François vient de nous faire depuis l’Amérique Latine. C’est à croire que le changement est une dynamique redondante chez ceux qui se prénomment François…. Plus sérieusement de ces derniers textes, le successeur de Pierre nous invite à être pleinement acteurs de notre société, sans attendre que le pouvoir vienne réaliser ce changement. Il s’agit plutôt, pour nous, de retrouver le chemin de l’autorité qui doit présider à toutes actions prenant ainsi le pas sur cette « obsession d’occuper tous les pouvoirs disponibles et de voir les résultats immédiats ».1Le Christ pour modèle
mystique de l'autoritéDans l’Évangile de Jean (13, 1-17) nous savons que l’institution de l’Eucharistie lors du Jeudi Saint est remplacée par le lavement des pieds. Jésus par ce geste humble et profond appelle et envoie ses disciples sur le chemin de la disponibilité à la mission d’annonce de l’Évangile. L’attitude demandée par le Christ est celle du service de l’autre, de l’accompagner au plus près dans une démarche désintéressée de sa propre réussite personnelle.
Marcher à la suite du Christ
Dans ce chemin du service nous apprenons à nous décentrer pour nous centrer sur l'(A)autre. C’est un chemin de liberté auquel nous sommes appelés. Une liberté pour agir et surtout pour servir la mission du Christ, à sa suite comme serviteur. Cette mission ne consiste pas à « se livrer au prosélytisme », mais à marcher à la suite du Christ. Il ne s’agit pas de copier/coller l’agir du Christ mais de s’en inspirer, de le prendre comme azimut de notre vie.
Serviteurs de la Mission du Christ
Ce qui est surprenant dans l’Évangile c’est la manière de se comporter de Jésus. Non seulement il trace sa route allant de villages en villages, de guérisons en guérisons et d’annonces en annonces mais aussi et surtout il n’oblige personne à le suivre. Ses premiers mots, à ceux qu’il choisit comme compagnon de route, est « si tu veux suis-moi ».

Il nous demande de consentir à son compagnonnage, il n’ordonne pas… tout Dieu qu’il est.

Ceux qui le rejoignent le font car ils reconnaissent en Lui une autorité, une Parole qui a du poids et du sens. C’est alors qu’ils consentent à « tout quitter pour le suivre ».
Le courage de la pédagogie
Cette attitude du Christ devrait nous aider à réfléchir à nos comportements à l’égard des autres dans nos responsabilités quotidiennes. Il est important qu’un projet soit partagé s’il y a une réelle volonté de le voir réussir. Ce qui ne signifie pas de l’établir dans la dynamique d’un plus petit dénominateur commun mais dans une vision partagée et comprise. Il ne s’agit pas de faire de la démagogie, mais de la pédagogie ; c’est-à-dire avoir le courage de confronter son opinion aux autres et d’en tirer le bénéfice pour l’affermir et la rendre ainsi plus partageable et surtout efficiente.
Le poids de la parole
Qu’est-ce qui fait que ma parole a du poids et que l’autre consent intérieurement à y accorder de l’intérêt ? Est-ce la conséquence de ma responsabilité hiérarchique ou parce qu’elle donne du sens à l’action ? S’il s’agit d’obéir « perinde ac cadaver»(comme un cadavre)2 c’est bien peu dynamisant. La mission sera accomplie mais sans goût, ni panache. L’obéissance tout comme le commandement doit trouver sa racine dans la foi et non dans « une recherche stérile de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique3».

Il s’agit d’engager une parole qui féconde, qui met en route dans une volonté de construction de la maison commune. C’est une parole qui engage, elle ne recueille pas forcément l’accord de celui ou celle qui la reçoit mais au moins sa compréhension.

La dynamique du bien commun
L’autorité engagée n’est pas immanente mais portée par une responsabilité qui légitime. C’est apprendre dans cet exercice la dépossession d’une volonté propre de puissance et de domination pour entrer dans une dynamique de service du bien commun. Vivre l’autorité comme un véritable service à rendre à l’autre et à la communauté c’est, pour reprendre les mots du Patriarche Œcuménique Bartholomée :

une manière d’aimer, de passer progressivement de ce que je veux à ce dont le monde de Dieu a besoin. C’est la libération de la peur, de l’avidité, de la dépendance 4

Œuvrer avec amour
« On t’a fait savoir, homme, de qui est bien, et ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6, 8). Dans notre contribution à la marche du monde, à la construction de la maison commune, nous devons être vigilants quant au but ultime que nous servons. Est-ce nous et la satisfaction de notre ego ou est-ce plutôt le Bien Commun ; ce qui permet à chaque homme et chaque femme d’être reconnu et considéré avec dignité et respect ? Avouons souvent que c’est entremêlé. C’est alors qu’il faut nous discerner et (re)trouver la source de cette position d’autorité. Elle n’est pas « sui generi », immanente. Nous l’avons reçue d’un autre, au nom d’une compétence, d’une qualité à mettre au service de la Communauté.
S’ajuster à Celui qui est Le Juste
Notre mission consiste alors à exercer ce mandat de responsabilité dans la justice et la sainteté. C’est à dire qu’il ne nous faut rien préférer que de devenir davantage conforme à l’Amour du Christ qui se manifeste dans ses œuvres. Rappelons ici un élément essentiel de la règle de Benoît de Nursie : « Ne rien préférer à l’Amour du Christ ». C’est en substance ce que nous rappelle la citation du prophète Michée. C’est dans un compagnonnage de chaque jour avec le Christ que nous découvrirons la justesse de son Amour et que nous pourrons, par conséquent, ajuster, nos responsabilités à cet Amour que lui-même a reçu du Père, dans l’Esprit. Cet ajustement permanent ne peut se faire que si nous demandons et recevons la grâce de devenir serviteur. Ignace de Loyola nous dit dans une de ses lettres :

Le service des serviteurs de mon Seigneur, voilà ma victoire, voilà ma gloire.

Il s’agit donc de trouver sa joie non seulement dans le service mais dans le serviteur qui sert. C’est un appel à devenir l’ami de l’époux de l’Évangile (Jn 3, 27).
L’Autre comme sujet
Dans l’exercice de l’autorité, il est important d’envisager l’altérité. La personne sur laquelle j’exerce l’autorité est un sujet et non un objet dont je pourrai disposer à loisir. Cet autre est avant tout un « tu », capable de connaître, d’aimer et de dialoguer et c’est ce qui fait la grande noblesse de la personne humaine 5. Cette capacité de relation doit nous permettre avant tout préalable d’entrer dans une connaissance ajustée de cette autre sur lequel j’exerce de l’autorité. Entrer dans une compréhension mutuelle de l’autre permet une relation ajustée, débarrassé de toutes manipulations et autres jeux de pouvoir mortifères.
Découvrir le singulier
L’autorité doit permettre l’exercice de la bienveillance ou autrement du présupposé positif/favorable cher à Ignace de Loyola.6 L’exercice de l’autorité c’est aussi permettre à l’autre d’exister par lui-même, par sa parole propre. C’est faire l’expérience de la Parole de Dieu chez le Prophète Esaïe : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». Dieu, reconnaît la singularité de l’autre en lui offrant cet amour incommensurable et surtout inestimable.

Reconnaître l’autre comme sujet c’est l’autoriser à exister par lui-même et non du fait du regard que je porte sur lui.

Prenons le temps de bien considérer l’autorité qui nous est confiée ; elle est un véritable service pour la croissance de nos contemporains et par conséquent la bonne marche de notre maison commune. Soyons prudents à ne pas la confondre avec le pouvoir que tant de personnes quêtent de manière assoiffée ; il est un bien mauvais maître.
Le bon exercice de l’autorité c’est placer prioritairement sa confiance en Christ, Celui de qui nous avons « la vie, la croissance et l’être »7. De cette confiance, à renouveler sans cesse, nous serons davantage ajustés à un comportement qui sert la croissance de l’autre et contribue à bâtir la maison commune. Là où nous sommes placés, chacun avec sa part de responsabilités, d’autorité nous avons à faire croître ceux qui nous sont confiés. Ne cherchons pas autre chose que de vivre pleinement la mission qui nous est donnée, de prendre soin de ceux qui nous sont confiés et de mettre toutes nos actions, nos pensées et nos désirs au diapason de l’Évangile.
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1 François, Discours du François aux participants de la IIe rencontre mondiales des Mouvements populaires à Santa Cruz – 9 juillet 2015
2 http://www.jesuites.com/compagnons/farin.htm
3 François, Homélie pour la messe du Bicentenaire de Quito – 9 juillet 2015
4 Cité par François dans son encyclique Laudato Si, 9
5 Cf Laudato Si n°119
6 Exercices Spirituels n°22
7 Préface n°6 du dimanche ordinaire

2 réponses à « Vers une mystique de l’autorité »

  1. […] « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » cette citation bien connue de Gandhi est comme le résumé de l’invitation que François vient de nous faire depuis l’Amérique Latine. C’est à croire que le changement est une dynamique redondante chez ceux qui se prénomment François…. Plus sérieusement de ces derniers textes, le successeur de Pierre nous invite à être pleinement acteurs de notre société, sans attendre que le pouvoir vienne réaliser ce changement. Il s’agit plutôt, pour nous, de retrouver le chemin de l’autorité qui doit présider à toutes actions prenant ainsi le pas sur cette « obsession d’occuper tous les pouvoirs disponibles et de voir les résultats immédiats ».1 […]

  2. « Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont point du monde, comme aussi je ne suis point du monde. Je ne te prie point que tu les ôtes du monde, mais de les préserver du mal. Ils ne sont point du monde, comme aussi je ne suis point du monde. » Jean (17:14-16)

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