« Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison », entendons-nous dans l’Évangile de ce 14e dimanche ordinaire de l’année B. Rude constat que Jésus fait. Nos proches seraient donc hermétiques à la Parole de Dieu que nous essayons d’essaimer à temps et à contretemps ? C’est le risque du métier de prophète, en quelque sorte. Cette conclusion – sans doute hâtive – peut nous aider à mieux saisir de quelle manière la parole, et plus encore celle avec un P majuscule, est reçue. Souvent, nous ne prenons pas le temps, la peine, d’entendre – et surtout d’écouter – ce que l’autre peut dire, et encore plus lorsqu’il est notre intime. Nous le connaîtrions suffisamment pour ne pas être surpris par une parole qui dérange ? Un peu comme Jésus dont la parole n’était pas prise au sérieux par les siens. D’ailleurs, Jean, au début de son évangile, nous l’enseigne. Jésus est ainsi confronté au mépris des siens : « Ce qu’il dit n’est pas sérieux, ce ne peut pas être un prophète, il est de chez nous ». Justement, peut-être est-ce parce qu’il est des nôtres que nous devons l’écouter.
Un prophète par notre baptême
Notre communauté de base est celle qui nous a fait grandir, elle nous a appris à parler et à tenir parole. Ce lieu de croissance nous a donné de l’aisance, de l’assurance. C’est un lieu où l’apprivoisement est facile. Alors, pourquoi ne sommes-nous pas écoutés, pourquoi Jésus lui-même est-il comme mis au ban ? À cause de l’attention qui nous manque, parce que nous n’exerçons pas suffisamment notre oreille à l’ordinaire. Nous recherchons sans cesse l’extraordinaire, ce qui va nous sortir de notre routine, de notre quotidien. Mais toute étoile qui brille finit par s’éteindre. Ce que nous devons rechercher, à la suite de Jésus, c’est la manière dont la Parole de Dieu résonne en nous pour orienter notre route. Par notre baptême, nous aussi sommes prophètes et avons ainsi à porter la Parole de Dieu au cœur du ce monde, et pourquoi pas dans tout l’Univers. C’est une mission qui nous est confiée pour que le monde vive de la vie de Dieu.
Prophète d’espérance
Porter la parole de Dieu, c’est annoncer au monde une espérance, l’assurance que l’Amour sera toujours vainqueur. En même temps, il nous faut prendre conscience que l’annonce de l’Évangile est une mission qui demande de la patience, de l’humilité et de l’endurance. Paul, qui n’est pas le dernier des prophètes, en fait amèrement l’expérience. Il nous en fait le récit dans la seconde lecture. Nous ne savons pas vraiment ce qu’est cette « écharde dans la chair » qui fait tant souffrir l’apôtre des Nations. Toutefois, cette fragilité n’est pas un obstacle à sa mission. Il en fait même une relecture spirituelle. Dieu ne nous envoie pas la maladie, le handicap… Mais nous pouvons, avec sa grâce, les transformer en force pour le service de nos frères.
Éloge de la fragilité
Notre société cache la fragilité. Il n’est pas bon d’être fragile. Ne disons-nous pas à nos enfants « Sois fort », même s’il s’agit là de les encourager ! Peut-être devrions-nous être plus attentifs à ce que révèle cette fragilité. Tant de personnes fragiles nous apportent du dynamisme, de la consolation, de l’espérance. Souvenons-nous aussi du choix d’Israël par le Seigneur : « parce qu’il était le plus petit d’entre les peuples ». Ou bien encore de David contre Goliath. Les exemples sont nombreux dans l’Écriture et nous devrions plutôt nous réjouir que le Seigneur se révèle dans cette fragilité. C’est d’ailleurs, sans nul doute, un signe d’espérance devant la fragilité de nos communautés paroissiales. Le nombre de fidèles laïcs diminue et le nombre de prêtres aussi. Pour autant le dynamisme missionnaire, le désir d’être prophète de Jésus-Christ au cœur du monde ne s’éteint pas. Ce qui importe, ce n’est pas tant le nombre que nous sommes, mais le désir de porter la parole dans notre cœur pour la vivre et la transmettre au cœur du monde. Gageons que, même si les nôtres n’entendent pas notre désir de porter l’Évangile, d’autres seront, à leur manière, témoins de l’Évangile.
Au service de la communion
Toutefois, ne nous décourageons pas. Entendons l’avertissement d’Ézéchiel, dans la première lecture. Nous savons où nous mettons les pieds, nous avons connaissance que nous ne serons pas forcément reçus avec courtoisie, mais ce n’est pas nous que nous annonçons, c’est le Seigneur. C’est cette conviction qui doit nous habiter. Devant l’aridité de la mission, les obstacles en tout genre, la difficulté du chemin, nous ne devons pas fuir. Notre mission de prophète n’est pas personnelle. Elle est communautaire, c’est-à-dire qu’elle est au service de la communion, de la réconciliation. Il nous faut alors trouver l’agilité nécessaire pour que le Seigneur soit annoncé. Souvenons-nous que ce ne sont pas d’abord les stratégies, les plans pastoraux, les organisations bien huilées qui sont essentiels. Ce qui importe avant tout, c’est que la Parole de Dieu puisse se frayer un chemin dans nos cœurs parfois encombrés de nous-mêmes.<<
Tendre l’oreille de notre coeur
Bien souvent, ce qui empêche le Seigneur d’arriver jusqu’à nous, c’est notre suffisance, notre incapacité de tendre l’oreille vers l’autre pour “écouter” et non “entendre” ce qu’il désire nous partager. Ainsi, si la Parole n’arrive pas à se frayer un chemin au cœur du monde comme au cœur des nôtres, ce n’est ni une question de méthode, ni de prophète. Il s’agit peut-être d’une invitation à prendre en compte la complexité du lieu. Il est sans doute alors, recommandé de commencer à s’asseoir pour prendre le temps de se recevoir de Dieu. Prendre le recul nécessaire, non pour analyser et partir tambourbattant mettre son projet en œuvre. Il s’agit plutôt de se laisser rejoindre par le Seigneur, de se laisser enseigner par sa douce miséricorde pour comprendre là où il veut nous conduire.
Souvenons-nous qu’il faut du temps pour faire un chef-d’œuvre. Nous sommes, chacun et chacune d’entre-nous, qu’importent ses capacités, la création bien-aimée du Père. Il nous demande d’être témoins de son espérance, de son fol amour et de partager la joie qu’il a de nous aimer comme il aime le Fils. Alors, réjouissons-nous d’être appelés à participer à l’annonce de la Parole et demandons la grâce d’être renouvelés dans cette mission de prophète reçue lors de notre baptême.